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Les visionnaires du visible

par Yves Desvaux Veeska 2 Février 2011, 10:05 L'avis d'artiste

Giacomo-Balla-Lumiere-de-la-rue-1909.jpgUn bon nombre d’idées reçues sur les origines de l’abstraction sont restées à la porte du Musée d’Orsay, et personne ne s’en plaindra. La légende date de 1910 l’apparition de cette forme de peinture, année où Kandinsky aurait fait cette découverte émerveillée dans son atelier : une œuvre fascinante, mais qu’il ne se souvenait pas avoir peinte, et qui ne ressemblait à rien de connu. En somme, une abstraction née toute seule. Il s’agissait en réalité d’un paysage vivement coloré qu’il avait distraitement posé à l’envers contre le mur. L’exposition « Aux origines de l’abstraction » remonte d’emblée un siècle plus tôt, avec notamment les recherches de Goethe, dont le Traité des couleurs (1810) est considéré comme une pièce inaugurale dans l’histoire de la vision moderne. C’est d’ailleurs autour des théories scientifiques de la perception que l’exposition s’ordonne surtout, accordant beaucoup moins de place à la subjectivité des artistes et aux mouvements en « isme » qui ont tant essaimé au XXe siècle.

Et c’est là qu’elle nous bouscule, car elle nous présente des formes d’abstraction pas du tout fâchées avec le réel, mais au contraire acharnées à en découvrir d’autres aspects, fondés sur la science. La vision d’un Turner (Illustration ci-dessous : Landscape with a river and a bay in the distance, vers 1840) qui montre la dissolution des formes dans la lumière éblouissante, cette vision romantique n’aurait pas pu être peinte sans les découvertes scientifiques de l’époque qui l’autorisait. D’autres peintres, plus tard, s’appuieront sur ce défi pour tenter de comprendre la substance de la lumière, et réaliser ainsi des œuvres que nous considérons comme « abstraites », alors qu’elles témoignent au contraire du souci d’aller au-delà du premier degré du réel. Non pour s’abandonner aux délices de sa subjectivité, mais pour la dépasser, comme dans cette composition de Giacomo Balla, (cf. illustration ci-dessus : Lampe, étude de la lumière, 1909) où la représentation sur une toile de près de 2m de haut d’une lampe à incandescence devient un objet pictural non identifié mais d’un éclat saisissant.

Caspar David Friedrich, Turner, Monet, Munch, Kandinsky, Kupka, Delaunay… En osant des voisinages inattendus dans cette exposition, le musée d’Orsay nous permet d’approfondir notre regard, et sur la peinture, et sur notre perception du réel. Aux origines de l’abstraction ? Le désir de beauté. Et là, il est comblé.

TURNER-Landscape-with-a-river-and-a-bay-in-the-distance.jpg

 

Exposition "Aux origines de l’abstraction (1800-1914)" Musée d’Orsay fin 2003, début 2004.

Publié dans Artistes magazine n°107

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