Buren est efficace. Buren occupe le Centre Pompidou, Buren est reconnu internationalement, et même Buren sait se faire sujet de polémique.
Quand on est amateur d’art contemporain, on ne peut pas voir un store ou une chaise longue au tissu rayé sans penser à Buren. Passionnant. Comme MacDo a su imposer son M et son clown, Nike sa virgule, Buren avec ses rayures s’est, aussi, imposé. Même à la une de Beaux Arts, avec une couverture évoquant vaguement un emblème totalitaire, genre croix de guerre nazie.
Autant dire que je suis allé voir son exposition avec un préjugé défavorable. Et finalement, je l’ai visitée avec un certain plaisir. Les jeux de volumes et de couleurs sont agréables, l’effet de labyrinthe intéressant, comme une version sophistiquée et rajeunie des labyrinthes de miroirs que l’on voit dans les foires. J’ai particulièrement apprécié la salle où des projections de rayures en diapositives modifient en une seconde la sensation de volume de la pièce ; la cabane éclatée où les évidements des croisillons sont projetés sur le mur. Le soir de ma visite, l’ombre portée du soleil couchant y ajoutait une puissante vibration visuelle. J’ai quand même un peu ricané devant l’installation où il met en scène la polémique qui a accompagné la mise en place de ses fameuses colonnes du Palais Royal. Les graffitis ou les enregistrements anti ou pro Buren, exposés là au cœur de cette exposition triomphale, comme un trophée pour dire : voyez comme ils étaient bêtes, ceux qui me critiquaient, voyez comme je les ai tous niqués puisque je suis là.
Quand on sort sur la terrasse, on découvre encore et encore du Buren, porté par des échafaudages qui projettent ses rayures et autres outils visuels hors les murs du musée ; et là, face à l’architecture puissante de Piano et Rogers, ces bricolages font quand même un peu mince.
En sortant de cette exposition, je pensais à un autre artiste qui, lui, me fascine : Goldsworthy. Goldsworthy n’a pas de discours sur l’art. Il prend des éléments naturels, des pierres, des feuilles, l’eau, le froid, le chaud. Il observe, il arrange, il déplace, il attend, il montre une installation en disant comment il l’a faite. Pas pourquoi, mais comment. Il ne fait pas le professionnel des arts plastiques qui a quelque chose à démontrer. Il est l’artiste qui a quelque chose à montrer. Et il ne nous montre pas du Goldsworthy, il nous montre… de l’art ? La beauté du monde ? Mais les grands mots, on s’en fout, on regarde quelque chose de Goldsworthy, et on se sent tout de suite plus grand, plus sensible, plus haut, comme si, généreusement, il nous rendait aussi bon que lui. Buren, lui, il nous montre du Buren, et comment voit Buren, et ce qu’il faut voir avec Buren. C’est déjà ça, mais ce n’est que ça.
(Paru dans le courrier de Beaux-Arts magazine, septembre 2002)