Peindre le chaos, et y inscrire des lignes droites, c’est une expérience qui ressemble à notre vie où nous naissons par hasard, à telle époque, dans tel lieu, avec telles ou telles dispositions qui font que nous sommes ce que nous sommes. Avec l’impératif de nous débrouiller avec ça, sans savoir pourquoi d’ailleurs.
Mes peintures naissent ainsi, ici et maintenant, bien ou moins bien. Je déverse un mélange hasardeux de pigments, de liant et d’eau sur une toile libre posée au sol. Je ne la laisse pas en place, j’en mets partout, je me laisse déborder et puis, petit à petit, je m’efforce de reprendre le contrôle.
Je pourrais faire autre chose que de la peinture (de la poésie peut-être, ou de la marche à pied, j’en fais aussi, ou de la politique mais je laisse ça à d’autres incapables que moi) mais si je m’en tiens à la peinture, c’est parce que ça reste léger, transportable, effaçable, destructible, jamais nuisible, et souvent agréable.
Ce chaos de couleurs et de formes, j’y introduis des lignes droites pour lutter contre la liquéfaction, la pulvérisation, l’émiettement qui s’imposent spontanément quand on abandonne la peinture à elle-même. Je pourrais n’en rien faire, et laisser l’informel à sa jouissance crue. Parfois je fais ce choix, mais là j’ai éprouvé le besoin de planter ces lignes pour m’y ancrer, comme on s’accroche à quelque chose de fixe dans une tempête.
Ces peintures sont denses, encombrées, tumultueuses. Comme tant de vie trop remplies de trop de choses, de trop de mouvements. Mais là, tout est arrêté sur une toile, mis à distance. Tranquille. Quand la peinture est finie, le calme est revenu.