Lundi 18 avril 2011, 23h20, je prends le train à Saint-Lazare. Trois hommes entre 25 et 30 ans, l’air assez patibulaires, rentrent dans le wagon : un noir et deux étrangers difficiles à situer. Albanais ? Roumains ? Ils ont amené avec eux une grande caisse plate en carton, qu’ils jettent sur le sol plus qu’ils ne la posent. Ils s’assoient tous les trois à côté d’une jeune femme et ils commencent à lui parler. Je m’inquiète. J’imagine déjà une scène de viol comme on en lit tant dans les journaux. Je cherche des yeux le signal d’alarme, je me tiens prêt à composer le 17, je me vois tentant de m’interposer. L’un des hommes se lève et propose une rose à une autre femme du wagon, qui la refuse. Puis à une autre encore, qui l’accepte avec le sourire. Un autre homme se lève, ouvre en grand le carton posé par terre, et en sort une brassée de roses. Il commence à les distribuer aux passagers. J’en reçois une. Tous les passagers, hommes et femmes, se voient ainsi proposer des fleurs : « c’est gratuit, prenez… » Certains refusent en gardant les yeux tournés vers leur téléphone ou dans le vide, visage fermé. La plupart acceptent. Arrivé à la gare de La Garenne-Colombes où je descends, je remarque surtout l’étrange spectacle de tous ces passagers qui arpentent le quai, pressés à cette heure de rentrer chez eux, mais souriants, une rose à la main.
Texte publié dans La Vie, 5 mai 2011