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Je n’aime pas le luxe

5 Novembre 2010, 16:44 Le sens de la vie (expliqué aux futurs morts) Ecriture

Cartier défavorisé

 

Je n’aime pas le luxe ?


Cette petite phrase me trotte dans la tête depuis un moment. Mais d’abord, qu’est-ce que c’est le luxe. Un yacht de 70 mètres à 70 millions d’euros ? Mais il existe aussi des yachts de 150 mètres à 150 millions d’euros. Or je n’ai pas envie d’avoir même un yacht de 50 mètres, c’est pour dire.

Je n’aime pas le luxe, pourquoi ? Si je possédais un tel yacht, j’aurais forcément une montagne d’argent, et plein de rapports de pouvoir avec des concurrent menaçants, des politiciens rusés, des obligés, des amis intéressés, des ennemis tout aussi intéressés. J’aurais mon yacht, mais je n’aurais pas vraiment la paix de l’âme.

Je n’aime pas le luxe, mais est-ce que je déteste pour autant les gens qui vivent dans ce luxe-là ? Pas plus que les pauvres, les immigrés, les chômeurs ou les syndicalistes, je n’arrive à les stigmatiser dans leur ensemble, ces riches (j’ai toujours eu du mal avec la stigmatisation). Il y a sans doute parmi eux, à côté de mafieux, d’oligarques, de potentats et de spéculateurs, d’honnêtes entrepreneurs qui donnent du travail au peuple. Certes, parmi eux, on trouve ceux qui donnent du travail, mais qui sont plus réticents à partager les richesses produites. La fortune des quatre ou cinq hommes les plus riches du monde dépassent les cent milliards de dollars. Un million, c’est déjà pas mal. Un milliard, c’est mille millions. Ça fait beaucoup. Mais posséder cent milliards, ça fait cent mille, millions. Est-ce bien raisonnable pour une seule personne ? Au prix de quelques désastres écologiques par ci, menues injustices sociales par-là, assaisonnés d’optimisation fiscale. Pourquoi contribuer au financement des infrastructures d’un pays forcément mal géré par des bureaucrates incompétents : des avocats fiscalistes, ça coûte bien moins cher. Et puis des milliardaires comme Bill Gates créent des fondations philanthropiques. Ils répandent le bien selon leurs propres vues forcément éclairées, sans perdre de temps dans des débats démocratiques oiseux.

Mais revenons à nos moutons, voire à nos Mouton-Rothschild. Je n’aime pas le luxe, c’est une affaire de goût. Mais le luxe donne du travail à ceux qui le fabriquent. Les maîtres artisans, les ingénieurs, qui conçoivent chaque pièce d’un yacht de luxe, ne pourraient pas exercer leur savoir-faire sans les ultras riches qui leur passent commande. Objection : si l’argent était mieux réparti dans la société, les artisans du luxe pourraient œuvrer pour le bien commun : imaginons un bureau du Pôle Emploi décoré avec la somptuosité d’une cabine de yacht.

Je n’aime pas le luxe. Peut-être que je suis jaloux, envieux ? Je vais descendre de plusieurs crans dans le luxe. Soit une BMW ou une Mercedes à soixante ou quatre-vingt mille euros, soit à peu près le prix de six ou huit centimètres de yacht. Ce genre de véhicule plait à des clientèles très différenciées : cadres supérieurs, hauts fonctionnaires européens, caïds de banlieue… De telles voitures, reconnaissons-le, sont de petits bijoux technologiques. Les efforts de recherche, et tout le savoir-faire des ingénieurs, pourraient aussi bien servir à concevoir d’autres machines tout aussi sophistiquées, mais pour d’autres usages tels que : fourniture d’eau potable, d’électricité, à des populations qui n’en disposent pas. C’est moins glamour.

Et qui paierait ? On parle de cette fameuse taxe sur les transactions financières : tout mouvement d’argent purement spéculatif, ne correspondant pas à un investissement dans la durée, serait l’objet d’un prélèvement pour financer des équipements publics, écoles, hôpitaux, etc. Les sommes gigantesques générées par de telles taxes ne manqueraient pas de devenir des fromages pour de hauts fonctionnaires internationaux, grands consommateurs de BMW et de Mercedes.

C’est aussi pour ça que je n’aime pas le luxe. La propagande publicitaire, aussi efficace auprès de la bourgeoisie bien élevée qu’auprès des caïds de banlieue, valorise la possession des grosses voitures, des montres de luxe et autres colifichets, les associant à la réussite, à la supériorité, à l’élégance, à la force. Très honnêtement, les grands hommes dans mon panthéon personnel ne sont pas associés à cette verroterie : Gandhi avec une Rolex ? Le Dalaï-lama en Porsche Cayenne ? Les moines de Tibhirine à bord d’un yacht ?

Je n’aime pas le luxe, parce que je n’ai pas envie d’aimer les mêmes choses que les oligarques, les mafieux, les potentats, tous ces gens-là.

Mais il y a quand même des choses qui me dérangent dans ces « je-n’aime-pas-le-luxe » ». On peut être quelqu’un de très bien, et apprécier une création horlogère exceptionnelle, une belle mécanique automobile … D’ailleurs, personnellement, il m’arrive de me retourner sur une belle voiture, sensible à l’aspect sculpture en mouvement d’un beau coupé. De même que je peux admirer une peinture d’un prix inestimable, ou que je m’émerveille d’un château, d’une église…

Tout cela est très mélangé. Si j’admire un château de la Loire, je n’ai pas pourtant autant envie de revenir aux conditions sociales du temps qui l’a vu naître. Si j’admire une peinture, je sais que certains chefs-d’œuvre ont vu le jour en raison du génie de l’artiste, et non pas de l’état du marché de l’art.

Mais je me méfie aussi de certains qui n’ont pas aimé le luxe dans des temps pas si lointains : les gardes rouges pendant la révolution culturelle, les khmers rouges de Pol Pot.

Et je me rends compte aussi que je vis dans le luxe. Je ne roule pas en Porsche, mais ma modeste Clio vaut le prix de vingt-cinq années de revenus de certaines populations qui vivent avec moins d’un euro par jour. Et je travaille dans le luxe : même si mes peintures ne sont pas hors de prix, trois-cents euros un bout de papier avec de la couleur dessus, c’est encore du luxe.

C’est quoi le luxe ? Vivre dans une vaste propriété, protégé par des gardes armés ? Ou une propriété plus modeste, sous surveillance électronique ? Avoir un jet privé ? Ou deux ? Ou simplement un 4 X 4 noir avec des vitres teintées ? Ou une Clio ? Ou des chaussures au lieu d’aller pieds nus ? Ou la bonne entente avec ses enfants (alors Liliane Bettencourt, riche à milliards mais en procès avec sa fille, était au seuil de l’indigence).

Je n’aime pas le luxe, en fait, seulement certaines formes du luxe, qui sont l’ennemi du calme, de la volupté, de l’ordre et de la beauté.

J’aime mon luxe à moi : consacrer un dimanche matin à gribouiller ces mots sur un carnet tout en sirotant mon café au soleil.
 

5 novembre 2010. Publié dans Le sens de la vie, expliqué aux futurs morts.

Chaque fois qu'on lui parle d'un soleil couchant, la petite fille lâche tous ses jeux et court le voir. À 3 ans, à une cousine qui lui offre une bague, elle répond : « Je n'aime pas le luxe. » La réponse fait rire la famille aux éclats. Les familles se trompent toujours sur les anges qu'elles hébergent. La petite Simone Weil n'aimait en vérité que le plus grand luxe - celui de la contemplation...

Christian Bobin (extrait d'un texte trouvé sur internet)

Le luxe n’est pas le luxueux (…) Le luxe qui s’achète n’est pas ce qui nourrit l’homme, c’est la simplicité, la beauté d’un arbre, la lumière, l’échange entre les êtres, le Qing Pin (…)

Make, créatrice haute couture au chômage

Des réponses à ce texte...
Daniel Diot

Le luxe... La frivolité ? (non, j'aime trop la frivolité), ce qui est en trop? (non, un tout petit plus serait bien utile à beaucoup), une erreur d'appréciation... de soi ? (c'est pas impossible), un égarement ? (qui peut y  échapper absolument ?), une quête éperdue pour un être sans quête ? (ne dramatisons pas, mais bon...).

Le luxe est peut-être une recherche à double tranchant,  souvent un masque du vide, une parure vaine, les beaux habits de la stérilité.

Mais j'aime bien aussi, un certain luxe de précaution, de précision, de raffinement, quand il est attention aux autres, quand il est au service d'un accomplissement, fût-ce de petites choses. La nature elle même en est capable. L'évolution d'une plante sur un cycle annuel est quelque chose qui me fascine totalement.

On peut sans doute ajouter aussi que rien n'est trop beau pour ceux (et aussi "ce") qu'on aime. Comme tu le proposes, et comme je crois le comprendre, le luxe est un droit quand il est exigence du meilleur... de tous pour chacun. Ou, ne serait-ce que pour quelques-uns. On n'est jamais perdant à donner un peu plus que ce dont on est capable, quitte à se ramasser un peu.

A ma modeste place, je passe un temps fou auprès d'élèves, d'enfants, dans une démarche, ou une recherche d'ouverture à soi même et au monde, et ce n'est jamais gagné, le combat est quotidien (des fois, j'ai envie de dire au "monde" d'y mettre un peu du sien). D'un certain point de vue, du point de vue de certains, tout cela est un luxe dispendieux.

Et encore,  ils ne mesurent pas combien il faudrait en rajouter , non pour faire plus confortable, mais tout simplement pour faire le minimum, l'indispensable. Et ce ne serait pas du luxe. Et, "par dessus le marché" (tu parles d'une expression !), le pire c'est que ce serait particulièrement rentable.

Peut-être pas en terme de marché, mais en terme d'humanité, dont la moindre des exigences pourrait bien être "Volupté pour tous". Voilà bien une banderole à brandir en ces temps manifestants.
 
Voir le blog de Daniel : http://www.lignesdesuite.com/

*

Elyzabeth Chalandon


Le luxe....................


Quel beau sujet pour méditer en ce samedi matin d'automne..........moi non plus je n'aime pas le luxe dans le sens où tout le monde l'entend......................Oui créer des objets de luxe amène du travail à certains........................mais .........il ne faudrait pas que ceci entraine pour ceux qui en profitent une indifférence vis à vis de ceux qui sont loin de ce luxe.....................il faut de tout pour faire le monde.....comme ils disent.....


Pour moi le luxe c'est de se lever le matin avec ses deux jambes, ses deux mains, et de se dire que la vie est belle malgré tout.........


Pour moi le luxe c'est de regarder les vaches paitrent dans le pré à côté.....d'écouter les oiseaux, de voir un écureuil sauter de branches en branches, de ramasser des chataignes, de les partager avec mes amis, de regarder les étoiles.........voilà.....le luxe c'est que notre planète VIVE et que tout le monde se sente concerné.....


Et çà tout les meilleurs artisans du monde ne pourrons rien faire quand nous aurons tout détruit.....................Alors MOI je veux du LUXE mais du VRAI......pas du bling bling


Est ce que ceux qui ont vécu dans "LE LUXE " connaissent le vrai LUXE?


Relisons le PETIT PRINCE............................................................................................


................................"On ne voit bien qu'avec le cœur, l'ESSENTIEL est invisible pour les yeux........"


Elyzabeth

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