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Portrait de l’artiste dans un paysage économique

1 Avril 2010, 16:09 Manuel de Survie pour l'Artiste Peinture Ecriture

Portrait de l’artiste dans un paysage économique

Nous vivons un présent radieux où, le capitalisme ayant enfin triomphé du communisme, il a libéré… Libéré quoi au fait ? Libéré la circulation des marchandises et des capitaux. Pour la libre circulation des personnes, citoyens des pays riches, vous pouvez encore circuler, en vous mettant à poil au besoin sous le portique de sécurité (on y viendra). Mais les pauvres on verra plus tard. Ce monde d’aujourd’hui, si harmonieux, équilibre merveilleusement l’offre et la demande, par exemple l’offre de souffrance sociale avec la demande de contrôle social.

 

Alors moi, là-dedans, artiste, à quoi je sers ?

 

Ça dépend où je me situe dans la grille des salaires, pardon dans la cote de l’art. Personnellement, je dois être un inadapté social, car je n’ai jamais fantasmé sur un sac Vuitton, une montre Cartier, et je m’interroge. Car ces grandes marques du luxe s’intéressent beaucoup à l’art. Tout comme moi. On a ça en commun. Mais c’est tout. Ces grands patrons du luxe construisent des musées, achètent des œuvres et louent des conservateurs de musée pour aller avec. Ils ont dû piger quelque chose ces petits malins : en effet, si l’art est une noble activité humaine, ça marche aussi très bien pour mettre en valeur les produits chics et chers. Et alors, ça leur donne un petit supplément d’âme, je ne vous dis que ça.

 

Chic et cher, l’art contemporain sait aussi se lustrer d’un vernis d’hermétisme qui ajoute à la supériorité économique un sentiment de supériorité intellectuelle, et ça, ça n’a pas de prix. Parfois, la sauce est relevée avec une petite cuiller en argent, ou une louche, de provoc. Hop ! Vous vous hissez d’un coup au-dessus de l’indignation commune du commun des mortels. Il faut bien un peu de piquant dans le morne quotidien de l’univers impitoya-ha-ble des affaires. D’autant plus que fiscalement, on s’y retrouve.

 

Le plus beau, c’est que même produites dans ces conditions intéressées, des œuvres peuvent être intéressantes, parce que l’art, quoique passé au tamis du mercantilisme, du copinage et du renvoi d’ascenseur, reste de l’art, quand il est pur à la base. Mais il faut être un peu artiste soi-même pour faire le tri. A noter qu’en dehors du marché de l’art, il existe d’autres formes d’art non cotées dont la valeur artistique peut varier de zéro à l’infini. Car nous avons d’autres modèles sur le marché : le grand artiste inconnu ; et le petit artiste inconnu qui mérite de le rester.

 

Que l’artiste soit bon ou pas, c’est instructif de considérer comment il s’inscrit dans le paysage économique (une nouvelle forme du paysage dans l’art d’aujourd’hui). L’économie est finalement un système humain aussi inexplicable et mystérieux que l’art lui-même. Avec cette différence que les grandes théories des artistes vous en mettent plein la vue sans vous contraindre. Tandis que les grandes théories des économistes, des grands patrons ou des chefs politiques, font plus fort. Jamais entièrement vraies, ni entièrement fausses, elles vous propulsent dans des systèmes d’autant plus vertigineux qu’ils sont mesurés avec des chiffres et des indices et des systèmes de valeurs à la beauté paradoxale, telles ces œuvres d’art qui transforment la violence et la douleur en beauté : plus il y a d’accidents de la route, plus ça fait tourner l’économie : l’automobile, l’assurance, la santé, les pompes funèbres. Il y a des tas de points de P.I.B. qui sont des points noirs, mais ça fait du chiffre, circulez. Une bonne guerre aussi, ça crée de l’emploi et de la valeur. De la « destruction créatrice » pour reprendre une expression affectionnée des économistes schumpétériens (non, ce n’est pas un gros mot). Ça vous fait mal, mais c’est pour votre bien (ou pour leurs biens, peut-être ?)

 

Et quand vous faites de l’art non commercial, vous pensez à quoi ? - Peut-être que cette forme d’art est plus artistique, et se vend mieux. Bien répondu.

 

J’aime lire les chroniques économiques ou les éditoriaux politiques, autant que les critiques d’art. Et puis les relire quand ils sont périmés de quelques semaines ou plusieurs années, et constater qu’ils se bonifient en vieillissant car souvent ils en deviennent comiques. J’aime lire et relire ces grands journalistes libéraux qui traversent les décennies en inamovibles contempteurs de l’immobilisme. C’est très fort. Moi, ces lectures, je trouve qu’elles font rêver comme les discussions sérieuses de grandes personnes quand on est enfant, elles font un bruit de fond rassurant, et quand on est devenu adulte à son tour, on s’aperçoit que tout est à peu près pipeau. Et on devient artiste. Et en tant qu’artiste, je veille : aucun fonds de pension ne doit s’inviter dans mon capital, je ne vais pas licencier mes cinquante pinceaux pour dégraisser ma masse picturale ; je ne vais pas me délocaliser en Inde (on leur a envoyé Kérouac, ils nous renvoient Mittal, merci quand même). Je ne vais pas non plus travailler plus pour gagner plus. À la rigueur travailler mieux pour vivre mieux. Dangereux utopiste, va.


5 avril 2007

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