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Eve Adam 14 – Mai 68 chez les Jeannettes

par Hélène Grenier 23 Novembre 2020, 11:21 Ecriture Hélène Grenier

Connaître la nostalgie poignante qui étreint le cœur des adolescents. Quelque chose en eux pleure l’enfant qu’ils ne sont plus, et c’est un chagrin magnifique et muet.

Agnès Desarthe, Une partie de chasse, 2012

(Suite des cahiers de Christine Adam, écrits sous le pseudonyme d'Hélène Grenier.)

C’est vers 1967 ou 68 que je rejoins la petite bande des N.I.C, pour Nicole, Isabelle, Catherine, qui deviendra N.I.C.E , avec le E de Eve, lorsque je serais définitivement adoptée par mes trois copines. NIC, à l’époque, ne veut pas encore dire nique, ou on ne le sait pas.  Je suis très flattée que ces trois grandes – elles ont deux ans et demi de plus que moi - me proposent de rejoindre leur groupe.


J’ai bien deux copines de mon âge dans ma classe de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, mais sans être vraiment proche d’elles. L’une s’applique à paraître terne, avec un côté pince-sans-rire, et fait déjà vieille. L’autre, qui n’a rien à voir avec la première, est une belle ténébreuse qui ne fera que passer à Notre-Dame, avec qui j’échange des poèmes influencés par la découverte toute fraîche de Lautréamont et Nerval.

 

Autour de Nicole, leader de la bande, se retrouvent en plus d’Isabelle et Catherine plusieurs autres filles. Elles ont seize ou dix-sept ans et moi quatorze. Je me sens valorisée d’être admise parmi elles. Nous nous retrouvons en bande dans la chambre que partage Nicole avec sa petite sœur pour ce que nous appelons des « auditoriums », un mot nouveau que nous avons adopté. Nous nous enfermons dans la pièce, éteignons les lumières, nous vautrons par terre les unes sur les autres en écoutant des 33 tours : Stones, Doors, Crosby Still Nash and Young, Led Zeppelin, Black Sabbath, Jefferson Airplane, Moody Blues, Procol Harum, Jimmy Hendrix, The Who, Pink Floyd, Nice, Bob Dylan, Deep Purple, Simon & Garfunkel, Creedence Clearwater Revival, Beatles, Steppenwolf … J’écoute avec attention ces musiques qui me surprennent, me secouent, et dont j’ignorais tout la veille, mais je ne perds rien non plus des papotages de mes copines plus âgées, de leurs confidences, de leur façon de refaire le monde ou de ricaner sur les garçons. J’essaie de me hisser à leur hauteur.


Quand NIC devient NICE, un slogan vient compléter la mue : « Nice love and Art » c’est le vent de mai 68 qui souffle sur la bande d’adolescentes formées chez les jeannettes. Plusieurs filles de la bande sont alors mises sur la touche, car considérées comme trop ou pas assez quelque chose par rapport à ces nouvelles valeurs.


C’est bien d’avoir un nouveau groupe mais il faut des actions pour le faire exister. L’une d’entre nous lance l’idée d’un journal. Je suis très contente que cette proposition émane d’une autre que moi car faire des petits journaux est ma passion depuis longtemps. Et là, je ne suis pas toute seule pour ce projet. Ce sera « Nice News », un concentré de bons sentiments catho et de révolte adolescente fabriqué sur stencil et tiré sur la Ronéo du papa d’Isabelle, assureur de son état. Connaître quelqu’un qui possède une Ronéo, c’est un sacré privilège. Le format de Nice News, pour être original, est un A4 plié en deux dans le sens de la hauteur. La distribution se fait en voiture car Catherine, qui vient d’avoir dix-huit ans et de réussir son permis, est la propriétaire privilégiée d’une Simca 900 d’occasion offerte par son papa plus riche que le mien. Le journal est déposé directement et gratuitement dans les boîtes aux lettres d’une centaine de connaissances locales au moyen d’une tournée compliquée qui vise à économiser les timbres. Mais pas l’essence, car le souci écolo n’est pas encore d’actualité.


La Simca 900 ne nous sert pas qu’à distribuer notre journal : elle nous donne aussi des rêves de voyage. Aïe !
 

Episode précédent : Catastrophes regardées de loin

Prochain épisode : il n'y aura pas de prochain épisode avant quelques temps. Christine Adam est revenue provisoirement sur son choix de me laisser publier ses textes, des passages à venir posant problème.

Ah, non

… Suite plus tôt qu’attendue : l’un des pires fléaux de l’humanité

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