La meilleure morale, pour nous autres pauvres humains, est sans doute de nous faire l’aumône d’une mutuelle pitié.
Suite du journal d'Eve Adam, en réalité Christine Adam, écrivant sous le pseudonyme d'Hélène Grenier.
Tous les épisodes (du dernier au premier)
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Clarence
et son déshumidificateur
Avec notre appartement au Plessis, nous avons une cave. Tout à l’heure, j’ai reçu dans cette petite cave humide, au fond d’un labyrinthe d’autre vieilles caves poussiéreuses et déglinguées et sombres, un homme jeune. Son prénom m’a frappé : Clarence. À le voir et à l’entendre, l’œil et le sourire clairs, j’imaginais la fierté de ses parents à sa naissance, à le voir grandir, trotter, babiller. Clarence.
Là, aujourd’hui, le technico-commercial Clarence est avec moi au fond de cette cave humide où il me parle avec conviction, il est souriant et il veut mériter ma confiance, il tient sincèrement à me persuader que rien, rien ne vaut ce déshumidificateur à 8990 € TTC pour notre petite cave humide.
Ce jour-là, Clarence après tant d’autres, m’a fait douter du sens de la vie.
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Souvenirs remontés de la cave – 1927 / 1935
Par la bizarrerie des associations de pensées, des souvenirs de maman me sont alors revenus à l’esprit, rares confidences qu’elles m’a faites alors qu’elle était très âgée et comme prisonnière de son corps souffrant. Après avoir été orpheline de mère à six mois, orpheline de père à huit ans.
Sa maman à elle est décédée à l’âge de 32 ans, en 1927, de la tuberculose. Les parents de sa mère, ses grands-parents donc, et mes arrière-grands-parents, ont accusé son père d’avoir causé la mort de sa mère en la rendant enceinte (de maman, donc).
Famille, je vous aime.
Maman étant un bébé quand sa mère est morte, et son père militaire souvent en mission dans les colonies, elle a été placée dans une famille d’accueil, les Charron. Ceux-ci, ayant perdu leur fils dans un accident de side-car, furent très affectés par ce drame. Maman sera placée ailleurs. On ne l’inscrira pas à l’école, c’est sa grand-mère qui lui enseignera le français. Comme on considère qu’elle doit toujours être occupée, on lui fait repriser les chaussettes de son grand-père. À l’occasion, elle les cache pour s’en débarrasser. Elle coud aussi des serviettes périodiques sans savoir ce que c’est. « Couds toujours c’est pour apprendre. » Elle correspond en cachette avec une fillette d’une autre famille, les Lepage. Maman se rappelle aussi Tante Marie qui vient lui rendre visite à Toulon dans un sanatorium. Elle s’en souvient comme d’une femme merveilleuse, et elle pense que c’est sa mère. Le père de maman, est mort à 53 ans d’une crise cardiaque, le 1er avril 1935 (et je suis née le 1er avril 1953) Elle avait huit ans, et il n’a été présent dans sa vie que quelques semaines par ci par là, sa carrière d’officier l’envoyant en Asie à une époque où cela prenait des semaines pour aller et venir en bateau.
En quelques lignes, des minutes, des heures, des jours, des mois, des années. Où l’échappée à l’ennui était souvent la souffrance, parfois quelques lettres ou visites.
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Doux pays de mon enfance
Année scolaire 1961 / 1962.
Luc, mon grand frère âgé de 10 ans, vient de rentrer en 6e, à l’Ecole Notre-Dame des Sept-Douleurs. Il se lève à 7h le matin, marche dix minutes dans la rue aux façades encrassées, rue principale encombrée de voitures. Sa marche est accompagnée par le grondement des moteurs et la fumée des pots d’échappement, il arrive à la gare vétuste et sale car promise à la démolition, prend le train à vapeur pour se rendre au collège. Il revient vers 7h le soir. Le temps de prendre le bain, de dîner, il a encore ses devoirs à faire, jusque vers 10 ou 11h parfois. Avec nous, ses petits frères et sœurs, qui faisons du bruit autour : moi, 8 ans, Madeleine 6 ans, Jean 3 ans, et maman enceinte « jusqu’au cou » de Marie.
En 1961, à 10 ans, Luc aimait-il sa vie ? Et maman ? Occupée à faire les courses sans trop dépenser, à faire les lessives à la main, le ménage, les repas, à préparer les habits des petits écoliers, à surveiller les devoirs, à repriser, à faire les comptes. Aimait-elle sa vie ? Et nous ? Et papa, où était-il, que faisait-il, aimait-il lui aussi sa vie ? Le bon vieux temps !
Distraction du dimanche, la messe.