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Eve Adam 19 - Treize ans et dix-sept ans

par Hélène Grenier 20 Janvier 2021, 16:00 Ecriture Hélène Grenier Atelier d'écriture Autofiction

Suite des souvenirs d'Eve Adam, en réalité Christine Adam, écrivant sous le pseudonyme d'Hélène Grenier.

J’ai dix-sept ans, et déjà derrière moi trois années de pilosité pubescente mal acceptée. Bénévole, j’anime un camp de vacances pour des jeunes filles et garçons, plus jeunes que moi. Parmi lesquelles une fille de quatre ans ma cadette. C’est l’été, le temps des shorts, et cette fille a de jolies jambes. Et un visage agréable, et elle sourit volontiers de mon attitude amicale.


J’écoute souvent Prélude à l’après-midi d’un faune. J’aime ce titre, ces mots-là, et peut-être l’image sur la pochette du 33-tours. Et aussi Les tableaux d’une exposition. Ecoutant cette musique, je rêve de ses jambes nues, de son visage angélique, et de l’étendue de corps, de chair, qui se trouve entre ses jambes et son visage. 

 

Je ne pense pas qu'à elle cependant. J’écris mon journal, que je truffe d’aphorismes :

Elle planta dans le sol le plan d’une grande maison dans l’espoir qu’elle pousserait en arrosant bien.  De fait, elle arrosa bien son plan. Mais c’est un plan immense qui sortit du sol à la place de la maison. 

Maîtresse
Je suis heureuse en ce mois de juin 1970, avec de bonnes raisons de l’être. J’ai obtenu ma libération après sept ans de détention dans mon institution scolaire : un Bac avec mention bien. Meilleure note de l’école, inattendue pour moi, habituée aux notes moyennes, et aux professeures en-dessous de la moyenne. Libérée après sept ans, sept ans à découvrir minutieusement les infinies variantes de l’ennui sans perspective dont mes professeures savent recouvrir chaque matière qu’elles enseignent.


Je me souviens quand même des années avant le collège, la petite école paroissiale chaleureuse où j’étais si bon élève, souvent première ou deuxième. Je me souviens des institutrices bienveillantes qui m’ont fait découvrir les joies de l’écriture, de la lecture, la joie d’apprendre en général. Alors je me vois bien maîtresse d’école moi aussi. J’aime les enfants. Je n’ai pas compris que c’est parce que je suis encore une enfant. Et je vais faire un mauvais choix.


A la maison, mes frères et ma sœur négocient difficilement l’entrée ou leur passage dans l’adolescence. Ambiance électrique, et j’ai envie de m’éloigner de la zone de conflits. Je cherche sur la carte un lieu éloigné mais pas trop, et trouve Auxerre. Ce sera l’Ecole Normale d’Institutrices d’Auxerre. Jolie ville au bord de l’Yonne qui deviendra pour moi, pendant quelques années, le sujet de cauchemars récurrents. Je découvre qu’on peut choisir un métier bien considéré dans une ville moyenne, et à dix-sept, dix-huit ans, faire de ce choix raisonnable une expérience de désespoir adolescent. 


J’ai dix-sept ans et je m’interroge : ce qui m’intéresse, c’est quoi au fait ? L’art ? La vie ? L’écriture ?... Je ne sais plus. En devenant institutrice, je disposerai d’un « robinet à fric » (j’emploie cette expression) et de vacances. Je baigne dans l’ambiance « Vice News », je suis bien au chaud dans mon petit groupe de copines, Nicole, Isabelle, Catherine. 


Du haut de mes dix-sept ans, je m’imagine Auxerre, la campagne autour, l’air pur. Et que plein de jeunes franciliennes font comme moi,  je suis sûre de retrouver des petites babas cool dans mon Ecole Normale d’institutrices d’Auxerre.


Mais ce sont des filles de la campagne, totalement imperméables aux codes saint-avriens, ou à ceux de l’école Notre-Dame, ignorant tout de la presse fanzine underground, qui m’ont accueillie avec toute la joyeuse méchanceté que l’on réserve à une nouvelle un peu niaise. C’est vers cette époque que, pour répondre à leur étonnement de me voir débarquer chez elles en venant de la région parisienne, je réponds comme une tête à claques : « j’ai la vocation ! » Elles, leur seule motivation avouée, c’est de quitter la ferme de leurs parents, ou leur village où rien ne se passe. 

Parce que moi au contraire j’ai de grandes ambitions. Mais en fait là tout de suite, je n’en suis plus si sûre.

Eve Adam 19 - Treize ans et dix-sept ans

Episode précédent : Besoin d’être normale
Prochain épisode : Rastignac au féminin

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