Les êtres que nous aimons s’en vont, ils s’éloignent de nous, je m’éloigne d’eux, nous les perdons de vue, les lieux où nous avons été heureux sont occupés par d’autres. Ce que nous appelons notre mémoire n’est peuplée que de fantômes mais elle en est peuplée, preuve que rien de ce qui a compté pour nous, ni personne, ne disparaît à jamais. Si le temps ne passait pas ?
Après avoir publié le chapitre précédent, j’ai reçu une nouvelle lettre de Christine Adam. Pas un mail, mais une lettre écrite à la machine, postée sous enveloppe avec un timbre. L’expression «écrite à la machine» ne dira sans doute plus rien aux lecteurs dans une génération, et nécessitera une note de bas de page : «avant la généralisation de l'ordinateur personnel puis de l'internet, beaucoup d'écrits étaient réalisés avec une «machine à écrire», objet mécanique avec un clavier comme un PC, mais chaque touche n’avait qu’une seule et unique fonction : imprimer une lettre, un signe ou un chiffre, directement sur une feuille de papier que l’on glissait dans un rouleau. En cas de faute de frappe, la correction était délicate : il fallait effacer physiquement la lettre fautive avec un produit blanc pâteux et couvrant, le «typex». Certaines machines à écrire étaient électriques, d’autres manuelles, et n’avaient pas d’écran évidemment, sauf les tous derniers modèles dans la période de transition avec les PC, que l’on appelait alors «machines à traitement de texte».
Bref, Christine Adam m’a écrit avec une machine à écrire, et j’ai eu l’impression de recevoir un courrier venu d’une époque révolue, voire d’une faille temporelle.
« Cher Monsieur Desvaux Veeska,
Je suis troublée par les derniers textes que vous avez publiés en me les attribuant. Je n’ai plus les originaux, puisque c’est vous qui les avez récupérés, donc je ne suis même pas sûre de ce qui me pose question, mais tout de même : j’ai eu la curiosité de faire une recherche Google sur votre nom, et j’ai constaté que nous avons un certain parallélisme dans nos vies : à neuf mois près, nous avons le même âge ; vous êtes artiste, je ne le suis pas statutairement, mais j’ai navigué (navigation côtière)entre l’artistique et le culturel ; vous avez vécu en communauté dans les années 70, moi aussi ; vous organisez des stages, donnez des cours, je l’ai fait aussi, en y ajoutant l’écriture. Mais j’ai arrêté voici dix ans... Ayant énuméré cela, je conviens que si on cherche des coïncidences, on en trouve toujours. Je n’ai pas envie de vous rencontrer. Mais je vous remercie de me permettre de rencontrer la personne que j’ai été et qui n’existe plus, même si cette personne se résume en quelques bulles à la surface du présent dans ces lignes que vous publiez.
Episode 30 : C’est moi qui fais l’autoportrait de mes amies
Épisode 32 : Droit des marques, poisson frais et dessin de nu