Après plusieurs mois d'interruption pour des raisons de famille, suite des aventures sentimentales (et sociétales ?) d'Eve Adam, en réalité Christine Adam, écrivant sous le pseudonyme d'Hélène Grenier.
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1981. Septième saison de stages avec les Nice Vice. J’ai vingt-huit ans mais je me sens toujours bloquée, sentimentalement et sexuellement, à l’âge de mon adolescence. Recherchant mes paires, j’ai cette habitude, dont j’ai honte aujourd’hui quand j’y repense, de consulter le tableau d’inscription pour repérer parmi les nouvelles arrivantes les très jeunes filles : quinze ans, c’est mon idéal. Seize, à la rigueur. Je me souviens de la première fois que j’ai vu Coralie.
Au départ, je ne l’ai pas trouvée spécialement à mon goût : brune, rondelette, elle ne correspond pas à mon idéal de Lolita éthérée. Ce premier matin de stage, je descends avec mon groupe de stagiaires pour faire du dessin sur le motif dans le hameau en contrebas. Et le groupe du stage photo, auquel participe Coralie, nous rejoint par hasard au même endroit. Coralie et moi nous échangeons un regard et je sens que quelque chose se passe.
Je ne me souviens plus par quels chemins nous sommes passées pour nous retrouver nues l’une avec l’autre, moi vingt-sept ans, elle quinze. Coralie n’est pas une Lolita éthérée, elle est vive, pétillante, entreprenante, délurée, rieuse. Au contraire d’autres relations d’un soir - le dernier soir du stage pour faciliter la séparation - j’ai envie de rester avec Coralie et elle aussi : je me souviens de ces moments de bonheur magique qui vont s’égrener sur un an. Puis Coralie me laissera tomber. Je suis parfois aussi à cette époque, vive, pétillante etc. Mais le fond de mon caractère, sombre et cyclothymique, et la différence d’âge, ont vite donné envie à Coralie d’aller voir ailleurs.
Le 22 novembre 1980, j’ai écrit une nouvelle, " Ce monde d’ordre ", inspirée d’un rêve avec Coralie. Cette nouvelle témoigne plus de mon côté sombre, que du côté lumineux de Coralie.
D’autres souvenirs : les parents de Coralie m’ont accueillie à bras ouverts, sans même paraître s’étonner de notre relation homosexuelle, ou de notre différence d’âge. Sur ce plan, eux-mêmes ont douze ans d’écart, mais à l’âge adulte : quarante-neuf et trente-sept. Le père est pilote de ligne, et directeur de l’école de pilotes de sa compagnie. La mère est sans profession, et se passionne pour la condition des indiens d’Amérique. Coralie a deux petites sœurs jumelles très différentes l’une de l’autre. C’est une famille aisée, tranquille, ouverte, généreuse.
Le tableau ne serait pas complet sans la mention du chien, seul cas problématique apparent dans la famille. Je ne me souviens plus de sa race, mais c’est un petit bestiau caractériel qui fait la loi chez eux, au point qu’ils devront le rendre à l’éleveur qui le leur a vendu. Ce chien ne supporte personne d’autre que la mère dans leur appartement à Paris, ou dans leur maison dans le midi. Au point que, lorsque le chien a le droit de se balader librement dans les lieux, les filles doivent rester enfermées dans leur chambre, et inversement. Un dresseur consulté préconise une solution : il faut que Coralie, puis ses sœurs, fassent preuve de domination sur le chien en l’affrontant. Elles doivent chacune à tour de rôle se protéger les mains et les bras, se munir d’un bâton et corriger le chien. Coralie y va la première, elle est courageuse, et elle fait ce qu’on lui propose de faire. Sauf que c’est le chien qui a le dessus, et heureusement que ses parents sont là pour le maîtriser.
J’ai été accueillie deux fois en vacances chez les parents de Coralie. Mais la deuxième fois, Coralie me signifiera la rupture, et j’en serai mortifiée. Au point de départ de notre relation, j’ai bénéficié de mon aura de maîtresse de stage. Et me faire ainsi congédier par une gamine me fait mal : c’est une blessure d’amour envenimée par une blessure d’amour-propre.
Mais Coralie reste un beau souvenir. Son petit corps doux et dodu d’adolescente, sa peau claire ornée de multiples grains de beauté, son naturel et son abandon joyeux dans l’amour.
Je l’ai bien plus tard rencontrée par hasard dans le métro : elle venait d’être maman. Nous avons gardé le contact, reperdu, retrouvé sur Facebook, mais chacune a sa vie. Coralie aux dernières nouvelles a trois enfants, est mariée, et s’occupe d’un cinéma d’art et d’essai. Les messages qu’elle poste sur Facebook sont parmi les rares que je lis.
Episode 36 : Autostop en goélette
Épisode 38 : Rencontre, mariage, divorce all inclusive