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Eve Adam 38 - Rencontre, mariage, divorce all inclusive

par Hélène Grenier 22 Mars 2023, 09:35 Ecriture Hélène Grenier Atelier d'écriture Autofiction

Des couples se sont formés, des mariages qui durent, parce qu’un homme, un jour a dit à une inconnue : " Alors, z’êtes en vacances ? " ou : " Sont à vous ces jolis yeux-là   ". Et des naissances ont suivi, des anniversaires, une famille, une dynastie (les Ming ?).

Éric Chevillard, L’œuvre posthume de Thomas Pilaster (1999)

1984 / 1999

 

Ce lundi de Pâques 2011, je suis seule dans mon atelier. Bien des gens sont en week-end, dont Sylvain mon ex-mari qui m’a quittée voici douze ans, en ce moment à Granville avec sa nouvelle compagne, les fils de celle-ci, et notre fille Bérénice, bientôt vingt-et-un ans.


Je me souviens des circonstances de ma rencontre avec Sylvain, en 1985. Je traverse cette année-là une période particulièrement difficile. J’ai résolu de quitter la communauté où je vis depuis 1974. Cette communauté, je l’ai cofondée avec Nicole, Isabelle et Catherine. Plus jeune qu’elles de deux ans, j’ai rejoint leur groupe en 1967, quand j’avais quatorze ans et elles seize. C’était un groupe d’amies assez étendu au départ, qui s’est réduit à quatre au moment de passer à l’action en 1973. L’action : l’achat d’une maison pour établir cette communauté, chargée de mettre en œuvre une interminable liste d’utopies généreuses dans toute la naïveté de nos vingt ans. Confrontées aux rudes contraintes du réel, faites de problèmes d’argent, de relations humaines compliquées, d’inexpérience professionnelle et sociale, les Nice Vice (c’est le nom que nous nous sommes donné, car nous sommes indemnes d’esprit de sérieux) font face malgré tout, sans trop de dogmatisme - à part quelques bouffées d’égalitarisme inquisitorial en 1976.  Nous vivons ainsi de nombreux moments joyeux, et arrivons tant bien que mal à nous nourrir (au début en nous rationnant) à nous loger (pas toujours à nous chauffer) à nous déplacer (dans des véhicules de fortune).


Dix ans plus tard, en 1985, Ardaven (la maison des Nice Vice) est à la fois le lieu où je vis, où je travaille, où je suis quelqu’un, où sont mes liens affectifs. Mais ces liens se sont dégradés. La bande de jeunes filles célibataires, idéalistes et enthousiastes s’est transformée avec le temps. Catherine est partie dès 1976, Nicole est mariée à Laurent, Isabelle est en couple avec Pascal. L’idéal égalitaire encore défendu par Isabelle est rejeté par Nicole, leurs parcours artistiques ont bifurqué. Et leurs compagnons ont choisi chacun une compagne, pas une communauté. Restée seule, j’ai décidé de partir, mais ce sont plutôt les circonstances qui me forcent à le faire. J’ai commencé à établir des plans pour trouver de quoi gagner ma vie à Paris. Je pense organiser des ateliers d’écriture ou des cours de peinture, puisque c’est ce que je faisais à Ardaven, où personne ne me posait de question sur la légitimité de mon enseignement. À Ardaven, j’ai l’habitude de bénéficier d’une certaine aura : le lieu a du charme, notre communauté qui accueille pour les vacances des dizaines de personnes a trouvé son public, et de bons souvenirs y sont attachés, de nombreuses relations se sont nouées. Mais je reste d’une grande naïveté, et quand je commence à démarcher pour trouver des lieux où enseigner à Paris, il me faut un temps pour me rendre compte que je ne suis plus la petite princesse en mon royaume Nice Vice, mais une trentenaire anonyme et sans diplômes.


Pourtant, surmontant ma timidité, ma déprime aussi, mes désillusions, je passerai des dizaines et des dizaines de coups de téléphone et j’arriverai à trouver des salles où démarrer mon activité. Dans certains cas, à l’époque, on m’accordera l’usage de salles sans me faire signer le moindre contrat, sans me demander de justifier d’aucun statut. Quand je décroche un rendez-vous avec un directeur de centre d’animation, j’arrive en tenant à la main un attaché-case lourdement chargé de classeurs avec ma documentation littéraire et artistique, et je saoule mon interlocuteur de grandes tirades théoriques censées démontrer mon originalité incomparable. J’ai acheté un attaché-case parce que je trouvais que ça faisait plus professionnel, mais ça ne fait pas très artiste.


Dans le même temps, je cherche un logement. J’ai repris contact avec mon premier petit ami, Luc, de cinq ans mon aîné. C’est avec lui que j’ai connu ma première fois, je m’en souviens car il m’avait noté : 0/20 ! Du temps a passé, j’ai connu… quelques copains, et des copines. À une question que nous nous étions posée entre copines - Quelle expérience nouvelle voudriez-vous faire avec un homme, j’avais répondu : - Qu’elle soit une femme.


Avec Luc, nous avons convenu d’une colocation chez lui dans le 17e arrondissement. Colocation non dénuée d’arrière-pensées, mais qui restent des arrière-pensées. Pour moi, ce n’est qu’une solution de pis-aller.


Ces recherches et projets se déroulent au printemps 1984, mais vient l’été et la saison des stages. J’organise un stage d’écriture dans un lieu décalé, en Loire-Atlantique, avec un nom curieux : " Gelé " ! Chaque été, pour renouveler mes stages, j’expérimente un nouvel endroit. Cette fois, j’ai trouvé ce bâtiment fraîchement rénové, à un prix dérisoire, mais prévu pour… 120 personnes ! Le stage comptera six inscrits, dont Sylvain, qui avait hésité entre un stage d’écriture et de peinture. Hasard d’un choix qui donnera, après diverses péripéties, naissance aux destinées de nos trois enfants : Victor, Bérénice et Elie.


Avant chaque stage, je regarde les fiches d’inscription, les prénoms, les âges. Pendant longtemps, j’ai recherché l’amitié (et plus si possible) des très jeunes filles. Ainsi, à vingt-sept ans, je suis sorti pendant un an avec Coralie qui en avait quinze. Les parents de Coralie n’y verront aucun problème : je serai invitée chez eux en vacances, la mère de Coralie aura même le courage de lire un de mes manuscrits, qu’elle commentera en termes plus généraux que généreux, ce qui ne m’avancera pas beaucoup dans ma carrière d’écrivaine. Coralie, aujourd’hui mariée et mère de trois enfants, est dans ma liste d’amis de Facebook. J’aime toujours bien ce qu’elle poste. Coralie est un de mes beaux souvenirs.


Là, dans ma liste, j’ai remarqué " Sylvain Gaudry ", trente-trois ans. J’en ai trente-et-un. Sylvain, trente-trois ans. Rare phénomène : les hommes sont rarissimes dans les stages. J’ai décidé depuis deux ans d’opérer un virage à 180°, d’arrêter avec les trop jeunes filles, même si j’ai toujours eu des relations affectueuses et respectueuses, en plus d’être éventuellement sexuelles. J’ai décidé d’admettre que je ne suis plus une jeune fille, mais une femme adulte. Je me suis dit : trente-trois ans, ce sera peut-être lui. Mais je me le suis déjà dit d’autres fois, sans que cela aille plus loin. Le stage se déroule normalement. Je me souviens cependant d’un problème technique agaçant. Cette location gigantesque comporte une salle de spectacle que nous n’utilisons pas mais à laquelle nous avons accès ; un vaste réfectoire pour 200 couverts où quelques tables sont réservées à nos travaux d’écriture, une table aux repas ; un nombre considérable de tables restent vides. Le problème technique n’est pas là mais dans ma chambre où une alarme sonore stridente se déclenche pour un oui ou pour un non en pleine nuit. Plusieurs fois, je dois me lever en catastrophe pour la stopper.


Je regarde vaguement Sylvain, flirte un peu avec lui. Mais je flirte systématiquement, méthodiquement pourrait-on dire, dans chaque groupe que j’anime. Jusqu’à présent, je choisissais une jeune fille, et je faisais campagne. Ma position de maîtresse de stage me donnait un avantage dont j’usais avec naïveté, calcul et sincérité à la fois. Je me souviens que cette semaine-là, nous sommes allés en groupe à la plage. Le temps est frais. Sylvain n’est pas vraiment à son avantage. Il porte un maillot plutôt kitsch à mon goût, et le froid marque ses jambes de plaques rouges. Mais j’ai conscience que je ne suis pas moi-même très sexy, dans un maillot une pièce qui a beaucoup servi, avec mes formes maigrelettes, mon teint pâle. Un détail que j’ai appris sur Sylvain m’a intéressée : il est étudiant en finances. Il a trop rencontré de jeunes filles à la recherche d’une amourette de vacances, tout comme moi d’ailleurs mais il ne le sait pas. En discutant avec lui, je me rends compte qu’il est assez traditionnel, et ça me change de ma marginalité. Ce n’est pas un coup de foudre, juste une envie d’essayer une autre histoire. Après tant d’aventures éphémères, tant de jeunes filles séduisantes, pourquoi ne pas tenter carrément autre chose ? Sylvain parait rechercher une compagne avec méthode plus qu’avec sentiment, ça me va. Le sentiment viendra après, on verra. On verra en effet, que ça ne marche pas comme ça.


Le hasard a joué aussi son rôle. Le flirt avec Sylvain en serait resté là, sans conclusion au lit comme tant d’autres liaisons d’un soir. Avec cynisme, j’ai au cours de toutes ces années, " conclu " avec mes conquêtes le plus souvent les veilles de départ pour ne pas m’encombrer d’une liaison toujours difficile à gérer dans le cadre de l’animation d’un groupe.


Là, Sylvain annonce qu’il doit rejoindre des amis dans les côtes d’Armor. C’est plus ou moins dans la direction d’Ardaven que je dois rejoindre, et je lui propose qu’on fasse la route ensemble, ma voiture suivant la sienne, avec un petit resto à mi-chemin. Sylvain a une grosse berline grise qui présente bien, et je le suis avec ma petite Renault 5 un peu fatiguée. Au restaurant, mon pied effleure, pas tout à fait involontairement celui de Sylvain, et tout commence ainsi.


Arrivés à Ardaven, nous n’avons pas encore échangé un baiser, et nous nous retrouvons au sein d’un groupe de stagiaires avec beaucoup de têtes inconnues. Et, fatiguée de voir sans cesse des têtes nouvelles, j’emmène Sylvain dans ma chambre, où il me suit bien volontiers.
Nous passons la nuit ensemble. Notre première nuit. J’ai la mémoire des chiffres, des dates, je ne sais pas pourquoi. Je me souviens d’un numéro de compte bancaire fermé depuis dix ans, aussi bien que de cette première nuit : 24/08/84.



Un dimanche de 1985 à Paris, il fait beau. Sylvain et moi nous nous promenons en " amoureux ". Nous venons de décider de nous marier. Notre balade nous conduit devant Notre-Dame, nous décidons d’y rentrer. Et là, ce jour-là, nous croisons Michelle, 23 ans, l’amante qui m’a précédé dans la vie de Sylvain. Michelle est comédienne, elle parait régulièrement dans des séries télévisées, elle était la fille d’amis de Sylvain. Elle doit être un peu décontenancée par cette rencontre de hasard, je ne me souviens pas de la réaction de Sylvain, il a dû être un peu étonné quand même. Comme Sylvain lui annonce que lui et moi nous allons nous marier, elle s’exclame : " Bon courage ! ".



La dernière fois que Sylvain et moi nous ferons, non pas l’amour, mais exécuterons l’ensemble des actions définissant une relation sexuelle, sera le 1er avril 1999 (jour de mon anniversaire !). Ce jour-là, cela fait deux mois que Sylvain m’a annoncé qu’il me quittait. Mais faute de logement, nous partageons encore le même lit, sans nous toucher. Aussi je suis très étonnée quand Sylvain commence à me caresser les seins. Etonnée et perplexe. Je le laisse me faire l’amour, en pensant à autre chose, en pensant à tout ce qui ne va pas chez moi, et chez lui. Puis il se retourne sur le dos sans un mot et s’absorbe un moment dans la contemplation du plafond. Et il finit par dire : j’ai voulu essayer, voir si j’avais encore envie de toi, mais non, je n’ai vraiment plus envie.


J’entends le message. Je sais que la douleur viendra plus tard.
 

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