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L’art contemporain Faites-le vous-même

31 Mars 2010, 23:06 Manuel de Survie pour l'Artiste Peinture Ecriture

L’art contemporain Faites-le vous-même

CENTlMAÎTRES À PENSER

 

Autant que la Renaissance, le XXe siècle aura été (surtout à son début) un immense chantier artistique, renouvelant toutes les formes et les idées qui avaient cours depuis six siècles. Tous ces horizons nouveaux de la pensée et du sensible auront été chaque fois, cependant, soigneusement clôturés par les critiques, les experts, les conservateurs, les marchands, pour qu'ils puissent installer leurs péages, leurs sens interdits et leurs sens obligatoires : « voilà ce qui est moderne et ce qui ne l'est pas, ce qu'il faut montrer et ce qu'il faut cacher, ce qui vaut cher et ce qui ne vaut rien. »

Avec le renouvellement des générations, les obligations et les interdits du goût changent ; mais il est temps pour les artistes, les amateurs et tous ceux qu'attirent l'aventure artistique, de se débarrasser des centimaîtres à penser, pour enfin regarder et faire sans rechercher l'assentiment des « instances de légitimation ».

 

OFFICIELLEMENT DIGNES D'INTÉRÊT

Manuel-de-Survie-pour-l-Artiste-9-artiste-muscle.gifL'art contemporain se caractérise souvent par un bouleversement conceptuel dont la traduction matérielle est facile à imiter : un Ready-made, un monochrome ; mais aussi un Braque, un Kandinsky, un Mondrian, un Pollock, un Sigmar Polke, un Basquiat. Enseignant la peinture depuis douze ans en m'inspirant partiellement de la pédagogie du Bauhaus, je suis assez régulièrement touché par des peintures de mes élèves autant que par celle des maîtres (Klee, Kandinsky ...) donnés pour modèle. Remarque valable pour d'autres genres de peintures : Dubuffet, Sam Francis ... et combien d'autres. Des amateurs, anonymes autant que moi, dont les œuvres parfois me captivent comme d'autres œuvres officiellement dignes d'intérêt.

Car à côté de ces émotions bien réelles, j'observe cette folie actuelle des expositions supermédiatisées, ce marché de l'art dont les vrais amateurs sont en passe d'être évincés par les purs financiers, pour imposer au public des artistes inégaux, parfois puissants et parfois creux dont la réputation et la cote s'enflent hors de tout critère artistique. Des expressionnistes divers, des abstraits géométriques, des minimalistes ou des graffitistes sont exposés à l'étonnement des foules, à la glose des critiques, à la frénésie des enchères, sans que leurs œuvres se distinguent franchement de celles que je vois presque tous les jours se faire sous mes yeux dans les cours et les stages que j'anime. Les meilleurs et les pires sont parfois stars et parfois inconnus, mais tout est mélangé.

 

LES NUS BOURGEOIS ET ÉPILÊS

L'art contemporain tel qu'il a été inventé au début du siècle par Picasso, Duchamp, Dada, Malevitch, Kandinsky, Mondrian, Schwitters, etc, nous enseigne deux notions principales: d'abord l'autonomie possible de l'œuvre d'art qui peut exister sans se référer à autre chose qu'à elle-même. Ensuite que c'est le regardeur qui fait le tableau autant que l'artiste, pour le meilleur et pour le pire. Aujourd'hui un urinoir de Duchamp ou les graffitis de Keith Haring; hier les nus bourgeois et épilés de Bouguereau.

Mais si ces deux notions sont du domaine de l'art, il en existe une troisième qui les parasite : la logique institutionnelle et marchande, avec les manipulations qu'elle exige. Deux anecdotes : quand le Centre Pompidou a acquis, pour quelques millions de francs, deux Mondrian, un expert facétieux a déclaré qu'il s'agissait de faux, d'autres soutenant leur authenticité. Mais comment savoir ? Puisqu'il s'agit d'une forme de peinture dont l'exécution est rigoureusement simple, et donc reproductible. Deuxième anecdote : une peinture considérée comme "de l'atelier de Raphaël", accrochée sans éclat dans un château campagnard, est découverte inopinément par un expert qui la déclare de la main même du maître : aussitôt, cette œuvre qui n'était regardée que distraitement devient un objet vénéré.

 

L'AURA ?

Ces deux anecdotes nous posent la question de l'aura de l'oeuvre d'art dans deux cas de figure opposés (l'un où le peint est absent, l'autre où il est déterminant : peut-on soutenir que l'aura d'une œuvre réside en elle-même, où est-elle seulement dans son commentaire ? Cette question n'est pas inutile car d'elle dépend le prix -artistique, donc financier, l'un interférant malgré nous sur l'autre- qu'on accorde aux œuvres. Si l'aura d'une oeuvre dépend de l'opinion de tel ou tel expert, il n'y a plus d'aura. Tout au plus une garantie institutionnelle qui veut se substituer à notre propre jugement.

 

L'AURA PAS

Manuel-de-Survie-pour-l-Artiste-10-secrets.gifSi l'un de mes élèves exécute une peinture d'après Kandinsky qui me touche autant qu'une vraie, la valeur artistique de Kandinsky n'en souffre pas, mais sa valeur marchande apparaît étrangère et parasite. C'est un détournement de l'esprit de Kandinsky qui n'en tire ni un kopeck ni un cent, au profit de ceux qui vivent sur sa dépouille. Du spirituel dans l'art, ou du spirituel dans le marché de l'art ?

Une autre qualité est considérée comme conférant de la valeur à l'œuvre, c'est son historicité. Le fait que Kandinsky soit l'initiateur de telle forme artistique est un "plus" artistique (donc financier, et vice-versa). Outre la question de la relativité de l'aura (et ne parlons pas du trafic des certificats d'authenticité), l'historicité d'une œuvre me semble finalement étrangère à son existence esthétique. Si on en revient aux textes mêmes de Kandinsky, mais aussi de Duchamp, de Beuys et de bien d'autres, on se dit que l'historicité, si elle a un sens sur le plan du concept, ne devrait pas en voir sur celui de la matérialité des œuvres, à moins d'en trahir l'esprit. C'est si facile de transformer en coûteux fétiches inaccessibles la moindre production d'un artiste bien calé entre quatre planches.

 

IM–PI–TOY–ABLE

Nous vivons un temps de schizophrénie artistique où tout paraît permis, possible, avoir été fait. Mais où les processus de légitimation nécessités par les lois du marché et les mécanismes du pouvoir (circuits fermés critiques/galeristes/musées/riches collectionneurs), fonctionnant par connivence sociologique des goûts, cooptation et renvois d'ascenseur, opèrent un tri impitoyable et surtout en pleine contradiction avec le discours actuellement dominant sur l'art.

Le sens de ma démarche est d'en revenir à la pureté des intentions. De ressaisir les moyens matériels, formels et conceptuels de regarder et produire des œuvres d'art sans se laisser intimider par les grands manitous du pouvoir artistique.

Pratiquement, que faire ? D'abord en ce qui me concerne, je m'entraîne à porter un jugement sur les œuvres de mes élèves, d'autres artistes ou les miennes en toute indépendance d'esprit, sans me laisser impressionner par les musées, les foires prestigieuses, ou à l'inverse le petit local poussiéreux et anonyme où je les découvre. Ça paraît facile mais c'est une lutte constante contre l'instinct de déférence, de dévotion et de crédulité sur lequel l'esprit critique aime à se reposer.

Je m'entraîne à proclamer que la légitimité de mes choix n'est pas moindre que celle de tel ou tel collectionneur, tels les Saatchi faisant ou défaisant des réputations artistiques. Bien que je dispose de quelques millions de dollars en moins qu'eux, j'estime que mes choix valent bien les leurs.

Ensuite, concernant mon enseignement, je le lie à ma pratique avec la même unité d'esprit que Kandinsky, quoique d'une autre manière. Je suis comme lui à la recherche de la nécessité intérieure et de la connaissance en peinture mais cela quels que soient les langages picturaux utilisés. Mon but est de me promener en emmenant mes élèves dans les découvertes du siècle -y compris les miennes- à la recherche des moyens techniques, intellectuels et artistiques à s'approprier ou à inventer. Après le Readymade, qui a tant perturbé l'idée d'art moderne, Le Do-It-Yourself : L'art contemporain, faites-le vous-même.

 

FAITES-LE VOUS-MÊME

Vous ne pouvez pas mettre un million de dollars dans un Klee ? Faîtes-le vous-même. Ou regardez la peinture que fait votre voisin. Ou peignez autre chose si rien n'existe qui soit peint pour vous. Vous pouvez échouer ou réussir, le savoir ou non: l'incertitude donne son sel au pari.

Je vous invite à découvrir par vous-même la peinture, les techniques, les idées, les artistes. Faire, voir, comprendre, débattre, en dépassant les clichés du néophyte, les raideurs des académies anciennes et nouvelles, les dédains du professionnel blasé. En peinture et pour le reste, vivez avec vos limites et pas celles des autres, pour en les affrontant les dépasser.

 

Yves Desvaux Veeska - février 1990 - Extrait du Manuel de Survie pour l'Artiste

 

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