La fuite

Avant que je n’en trouve la cause, ma télé me faisait une vie infernale. J’ai tout vu avec elle : amour, émotion, jeux, publicités, guerres, sport, politique, corruption, viols, météo, publicités. Violence, émotion, sexe. Publicités. Chagrin, psy-show, tendresse, publicités. Politique, rires, chansons. Sport, publicités. Débats, insolences télégéniques, publicités. Et tous les jours dans ce désordre ou un autre.
 

Un soir, j’ai détourné un moment les yeux de l’écran pour regarder par la fenêtre et j’ai bien vu que dehors ça ne se passait pas entièrement comme ça. Il y avait des gens qui se déplaçaient lentement et régulièrement sans sautiller d’une activité à l’autre. Des gens à portée de voix si je voulais. Alors j’ai cherché derrière mon récepteur : il y avait un gros câble électrique. Je l’ai débranché et ma télé est devenue un simple objet inerte. La fuite venait de là. Ma fuite.

Vers 1992. Publié dans Télérama, et dans Le sens de la vie, expliqué aux futurs morts.