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Eve Adam 6 - L'écriture imprimée

par Hélène Grenier 9 Septembre 2020, 10:30 Ecriture Hélène Grenier Atelier d'écriture Autofiction

Suite du déchiffrage des cahiers d'Hélène Grenier : pour connaître l'origine de ce texte, cliquez ici

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Je me découvre alors une passion pour l’écriture imprimée. Les livres, les journaux. À la maison, il n’y a pas de télévision, donc ce monde-là m’est étranger. En revanche, il y a de la lecture. Beaucoup de lecture, avec de fortes doses de béni-oui-oui : le Club des Cinq, Sélection du Reader’s Digest, l’Album des Jeunes. Et aussi Lisette, le journal et les albums. Et en vacances, de vieux gros livres aux couvertures rouges avec de rares illustrations : les contes de Perrault, des frères Grimm, d’Andersen. Avec des histoires troublantes d’abandons d’enfants, de grandes personnes perverses, de monstres divers ; et des personnages malicieux, empêcheurs de tyranniser en rond.


À l’école, j’affronte aussi la littérature classique : Molière, Racine, Corneille, sont accommodés avec une sauce scolaire qui donne aux grands auteurs la saveur de puissants répulsifs.


Sans télé ni jeu vidéo, sans portable ni internet, je jouis pleinement de grands espaces libres pour lire, et partant de là, ça me donne envie d’écrire. Ma culture enfantine est un cocktail où se mélangent les bons sentiments de la presse d’importation américaine, les zones d’ombre des contes troubles de la vieille Europe… Et les leçons de catéchisme. Avec une copine, nous allons nous lancer dans les affaires. Nous allons va fonder un journal appelé – espérons-nous – à un grand avenir, comme Sélection du Reader’s Digest par exemple. Et pour coller à cette ambition éditoriale, qui consiste à parler de tout un peu en distrayant tout le monde sans déranger personne, un titre est laborieusement trouvé : « Denouhavou ». Quand mon petit frère Luc décodera évidemment tout de suite que ça veut dire « de nous à vous », j’en serai piquée.


Editer un journal avec un franc cinquante d’argent de poche par semaine (la monnaie sur l’achat d’un carnet de tickets de métro) n’est pas une mince affaire. Mais je vais investir dans ce projet plusieurs mois de mes économies, et ma copine Jeanne va contribuer aussi. Nous allons réunir à nous deux, cent nouveaux francs ! En 1963, pour deux collégiennes de dix ans, ce n’est pas rien. Les fonds étant là, il faut se renseigner sur les moyens d’impression disponibles. Je découvre avec émerveillement et sérieux un nouveau monde, des nouveaux mots, des objets compliqués aux larges pouvoirs : la Ronéo, et sa concurrente la Gestetner. Il y a ensuite le stencil. C’est un assemblage de deux feuillets en matériaux spéciaux, du genre calque, reliés par une languette de carton perforé qui sert à le fixer sur la Ronéo, cette machine étant ce qu’on appelle – encore un nouveau mot – un duplicateur. Sur le stencil on peut écrire, mais c’est quasiment de la gravure à la main ; ou dessiner, mais sans remord possible. Ce qui est gravé reste gravé. On écrit surtout à la machine, mais là encore les fautes de frappe ne pardonnent pas. Et le stencil n’est pas donné non plus. Mais quel sentiment de puissance d’en détenir, et de savoir que ce qu’on écrit va pouvoir être imprimé – en cent exemplaires !


Jeanne et moi nous établissons un budget. En tirant « Denouhavou » à cent exemplaires et en vendant cent exemplaires à un franc, nous gagnons cent francs. Nous aurons sorti un journal, et récupéré notre mise. Après, il suffira d’augmenter les ventes pour gagner de l’argent. J’ai dix ans, et déjà aucun sens des affaires, aucun sens de ce qui se vend, et aucun intérêt soutenu pour la question. Sur tous ces points, dès mon plus jeune âge, j’ai avec une remarquable précocité atteint mon seuil d’incompétence. 
 

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