Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? Spontanément, je poserais cette question à un artiste, un philosophe, un critique…
Mais il y a un autre partenaire qui s’immisce dans le débat, et qui fait plus que s’immiscer : c’est l’administration fiscale. Pour cette institution peu sensible à la poésie et la philosophie,
«Sont considérées comme œuvres d'art les réalisations ci-après : - tableaux, collages et tableautins similaires, peintures et dessins, entièrement exécutés à la main par l'artiste, à l'exclusion des dessins d'architectes, d'ingénieurs et autres dessins industriels, commerciaux, topographiques ou similaires, des articles manufacturés décorés à la main, des toiles peintes pour décors de théâtres, fonds d'ateliers ou usages analogues.»
Un peintre besogneux qui produit à Honfleur d’innombrables marines comme on en voit dans les galeries de cette ville, pour alimenter le marché des résidences secondaires, est ainsi considéré comme un artiste d’un point de vue fiscal. En revanche, Marcel Duchamp verrait ses Ready-made, qui ne sont justement pas « entièrement exécutées à la main par l'artiste », non reconnues comme œuvres d’art d’un point de vue fiscal.
Bien d’autres artistes, plus vivants que Marcel Duchamp ne l’est aujourd’hui, créent des œuvres qui ne sont pas de leur main, mais de leur tête. S’ils sont reconnus, légitimés par les grandes institutions culturelles, pas de problème, il s’agit bien d’art. Mais un artiste inconnu, dont la démarche consisterait par exemple à créer non des peintures, mais des idées de peinture, comme un musicien crée des partitions qu’il fait exécuter par d’autres, verrait-il ses œuvres, non « entièrement exécutées à la main par lui », reconnues comme art ?
Dans notre monde dominé par les questions économiques, la définition fiscale de l’art est une zone de censure discrète mais efficace.