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Eve Adam 9 - La médiocrité idéale

par Hélène Grenier 30 Septembre 2020, 09:17 Ecriture Hélène Grenier Atelier d'écriture Autofiction

En général, on préfère se raconter des souvenirs flatteurs. Là, je vais me remémorer des rêves de médiocrité que j’ai à cette époque. 1966, j’ai 13 ans. À cet âge que l’on suppose celui des idéaux naissants, des envies de métiers prestigieux, j’aime au contraire me bercer de perspectives paisiblement ternes. Je me revois, lors de grandes vacances, me projetant dans un travail de bureau imaginaire, joli petit bureau fonctionnel où je demeure seule, et d’ailleurs sans lien aucun avec une activité productive quelconque. Je me rends à ce bureau, si je m’en souviens précisément, au moyen d’un cyclomoteur Honda à quatre temps que, parmi les rêves de mobylettes qu’une préado à l’esprit pratique peut former, j’ai sélectionné en raison de son bruit régulier et pas énervé. Dans un panier accroché au guidon, je transporte ma chatte qui m’accompagne à mon travail. Mon travail est indéfini : un travail de secrétaire. Stylo, machine à écrire étant les seuls outils qui ne me rebutent pas. Dans ma tête, j’aménage aussi mon chez moi, une petite maison moderne où j’ai déjà choisi mon électrophone, le même que s’est déjà offert une voisine de ma rue qui vient chez nous donner des leçons à Luc. Je la vois comme un modèle de bonne élève, de future adulte exemplaire. Je peaufine mon projet de vie idéale, faite de mesure, de tranquillité, de sécurité.

 

Plus tard, quand je lirai la nouvelle de Kafka « Le terrier », je me reconnaîtrai dans cet animal qui passe sa vie à imaginer des solutions pour atteindre la sécurité parfaite, sans jamais y parvenir. Je m’étonne souvent des hasards de la vie qui ont fait que je n’ai jamais eu de profession stable, me bricolant des petits boulots autour de l’écriture, du dessin ou de la peinture pour de modestes rémunérations. Mais peut-être qu’au fond, devant le grand désordre du monde, l’absurdité des tâches que des logiques économiques obscures font accomplir à chacun, j’ai simplement préféré laisser passer les trains, rester à quai et au calme sans me faire remarquer, en attendant paisiblement que tout finisse naturellement.
 

 

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