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Eve Adam 12 - Aventurettes

par Hélène Grenier 3 Novembre 2020, 11:50 Ecriture Hélène Grenier Atelier d'écriture Autofiction

Tout le monde a trois vies : la vie publique, la vie privée, la vie secrète.

Gabriel Garcia Marquez

En déchiffrant, puis en publiant ces manuscrits trouvés dans un vide-greniers, je ne m’attendais pas à la suite. J’ai été contacté par une personne qui s’appelle Christine Adam, et m’a assuré être l’auteur de ces textes. Elle a été très étonnée de les reconnaître par hasard, alors qu’elle les avait plus ou moins oubliés. Dans son souvenir, elle les avait laissés dans la maison qu’elle partageait jusqu’en 2010, avec un petit groupe d’amies, en Bretagne. La maison a depuis été vendue, et sans doute débarrassée, et voilà pourquoi tous ces manuscrits ont refait surface. Christine Adam s’était inventé cette identité d’Eve Adam, avant de laisser tomber et passer à autre chose. Quant au nom d’Hélène Grenier, il s’agit d’une personne réelle dont Christine Adam avait trouvé des cahiers, et elle avait eu l’idée de lui emprunter son nom pour en faire son pseudonyme. Voilà bien des complications à propos d’écrits oubliés par leur auteur, puis tombés dans l’anonymat, pour réapparaître quelque part dans le flux infini d’internet. Christine Adam n’émet pas d’objection à ce que je publie ses textes mais ne souhaite pas s’en soucier davantage ni en dire plus sur elle.


Mais elle en dit déjà beaucoup.


Suite des souvenirs d’Eve Adam, écrits par Christine Adam, sous le pseudo d’Hélène Grenier :
 

En dépit des fantasmes redoutables que j’ai au lit, dans mon demi-sommeil, ma vie au grand jour est très sage et sans rien de sexuel, du moins au niveau conscient. Mais j’observe mes copines qui changent, qui se forment quand je reste désespérément petite, plate et longiligne. J’ai cependant toujours cette aspiration farouche à la conformité. Et c’est par devoir, par souci de bien faire, de passer l’épreuve, malgré le trac et surtout l’absence de désir, c’est poussé par la volonté d’être comme les autres que je me décide, avec la sensation profonde de mon ridicule, de retenter le coup avec un garçon.


De même que j’ai appris à faire du vélo, il faut que j’apprenne à trouver un copain. J’en ai repéré un, le grand frère d’une camarade de classe, qui a l’air à ma portée. Il n’est pas trop beau, même pas très beau en fait, ce qui le rend plus abordable à mes yeux. Je manœuvre d’abord auprès de sa sœur qui comprend tout de suite l’affaire, et est ravie de jouer les entremetteuses. Il s’appelle Serge, il est gauche, pâle, les cheveux châtains et frisottés. On est en 1969, année érotique, mais je ne le sais pas. Et ce n’est pas le bon Serge. Je lui fais remettre une première lettre sous enveloppe, soigneusement calligraphiée, qui se termine par « je t’embrasse bien fort, Eve ». Et il me répond de la même manière. Nous échangeons ainsi quelques missives cérémonieuses avant de convenir d’un rendez-vous. Je me revois cheminant dans la rue avec lui, on se donne la main avec raideur : deux timides aux prises avec le même problème. On n’avait pas grand-chose à s’écrire, mais là, on n’a rien à se dire.  Fin de mon deuxième flirt.


Je ne me décourage pas. C’est le printemps, je décide d’aller hanter la « Fête à Neuneu », à Neuilly, qui a mauvaise presse dans ma famille (pas notre genre) pour tenter de draguer. En réalité, les manèges m’indifférent, mais je vois tous ces petits couples qui se frottent en riant dans les attractions, et je me demande comment ils ont fait pour se rencontrer et être ensemble comme si ça allait de soi. Je regarde en faisant semblant de ne pas les regarder (ou le contraire) les garçons de mon âge. Mais ceux qui ne sont pas avec une copine sont avec des copains, et tous ces garçons en bloc, c’est trop pour moi. J’erre dans la fête, étourdie par le vacarme et le clinquant des stands, mais il ne se passe jamais rien. Je vois des garçons et je me dis : j’y vais. Coûte que coûte, j’y vais. Mais rien, rien. La vie est ainsi pleine de devoirs à remplir, compliqués, et qu’en plus on ne nous donne pas de façon explicite.


Avec les garçons, je me sens plus que ridicule, idiote. Ce mot « idiote », avec sa sonorité creuse et courte, il s’invite dans la plupart de mes aventurettes. Je dis aventurettes comme il y a des calculettes pour faire des petits calculs pas compliqués. Aventurettes. 


Je suis encore bien loin de m’avouer que j’aime surtout les filles, et même que les filles. 
 

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